Destination : 95 , Homo Nimes


Caillou, chou, genou, fou

Pierre, on t’a bien nommé. Pierre. Ha ! Ha !
Tu as un coeur de pierre. Tu l’as toujours eu. Ha ! Ha ! Pierre le bien nommé !
Viens là. Panique. Première leçon de natation. Panique. Tais-toi.
Il est lourd. Et s’il m’entraîne au fond ? Couler. Submergé. Enfoncé. Viens là. Et s’il s’effrite ? Bouts de rocaille, roche plantée dans ma peau. Plantée du dedans. Ma chair trouée, une bouée crevée.
Variante : t’as le coeur sec. T’es sec. On t’a bien nommé.
Lâchez-moi. Je ne veux pas y aller. Je vais me noyer. On ne peut pas tremper un coeur sec sans dommage. Dommage ! Ha ! Ha ! On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, mon petit bonhomme. Débris de coquilles. Viens là ! Mon coeur dense, lourd. Il prend l’eau. Une vraie éponge.
L’éponge, c’est une pierre ? Tais-toi.

Elle et son sourire. Pleine de dents, elle est pleine de dents. Courir, fuir son sourire, courir. Sortir de l’eau. Vite.

De pierre. Pierre de pierre. Roc rocheux. Panique. Mon coeur bat fort, cogne dans ma poitrine. Comment il peut battre, mon coeur, s’il est rocheux ? Galet caillouteux. Elle et son sourire. Viens là. L’eau froide. Toujours froide. Après, on s’habitue. Courir.
Les algues au fond. Ca m’aspire. Slurp. Bouts de rocaille plantés dans les pieds. Mon corps lesté. Accablé. Appesanti. Opprimé. Troué. Au début, elle est froide et après... Je m’habitue pas.
Viens là. Tu veux me faire pleurer ? Panique. Je vais hurler.

Elle et ses dents. Fuir, courir. Pleurer, non. Nager, jamais.

Un garçon, ça ne pleure pas. M’arracher le coeur. Lui balancer dans la gueule. Un pavé, des pavés, un gros parpaing dans ses dents. Panique. Je vais hurler. C’est juste une petite tasse. Réglementaire, le pavé. Dix sur dix. Lui casser le sourire. Ses bouts de dents contre mes fragments de roche effritée. Qui va gagner ? Panique.
Viens là. Ne sors pas de l’eau. Il est interdit d’interdire. Je connais mes classiques. Dix sur dix. Un beau pavé. De pierre. Pierre de pierre. Les algues noires. Un caillou planqué dans les algues. Je déteste les posidonies. Elles m’aspirent. Elles vont m’aspirer. Panique. Et s’il s’effrite. Des bouts de rocaille plantés dans ma peau.

Madame, votre fils a coulé en mer.

J’ai froid. C’est mouillé. La mer, c’est mouillé. Un coeur, ça bat. Un coeur de pierre, ça peut pas battre.
Ha ! Ha ! Elle est bonne celle-là. Dix sur dix. Tu me la recopieras, la mer mouillée...
Prends ta bouée si tu es lâche. Deux petites vagues, c’est tout. Ce bruit obscène. Fangeux. Les vagues sur le sable. Slurp, slurp. La pierre, ça flotte ? Viens là. Tais-toi. Allez, plonge.

Elle et son sourire. Les dents de la mer.

Au début, elle est froide et après on s’habitue.
Eh ! Là-bas ! Oui, toi, le granit ! Tu viens, on plonge ? Crier, hurler. Je vais hurler. Courir. M’arracher le coeur. Juste bu la tasse.
L’iode ronge la pierre. C’est bien connu. Je connais mes classiques.
Comment je remonte ? Si je plonge, bouée trouée. J’ai pas de rustine. Et la colle ? Faites chauffer la colle ! Pierre tombale. Je ne pleure même pas. Coeur sec. Ce n’est pas un coeur, c’est seulement un muscle. De pierre.

Madame, votre fils a coulé en mer. Une disparition inexpliquée.

Ha ! Ha ! Dix sur dix. Tu me la copieras. Froide, elle est froide. Et mouillée.
Elle passe la langue sur ses dents. Ca brille. Ca fait un bruit répugnant. Courir. Fuir. Je connais mes classiques.

La mer qu’on voit danser. Les golfes clairs. Je t’en foutrais. C’est froid. C’est mouillé. Une humidité immonde. C’est mon coeur qui est dense. Granit.
Elle est mouillée. Ha ! Ha ! Dix sur dix. C’est rien, tu as bu la tasse. La tasse ? Bouts de porcelaine qui déchirent la peau ? C’est rien ? Pierre de pierre. Juste un peu d’eau.

La pierre, c’est sec. Variante : Pierre, tu as le coeur sec. Couler. Les algues. Cet enfant n’est pas bienséant. Tu me tueras.

De l’eau de là… Pierre de pierre tombale. Les algues. C’est profond. De la philosophie de bistrot. Oui. Lâchez-moi. Je ne veux pas y aller. Si, tu verras, après on s’habitue. Tu parles !
L’iode ronge la pierre. C’est bien connu. Même le granit. Erosion. T’es trop con. Erodé. T’as un coeur de pierre. Puis c’est mouillé. Ha ! Ha !
Les algues me recouvrent. Au secours. Tais-toi. Viens là. Sourire. Courir. Fuir. Ma chair en lambeaux. Débris de dents qui brillent. Des posidonies plein son sourire.

Madame, votre fils a coulé en mer. Il a mangé trop de porcelaine.

Elle vient de rentrer dans ma chambre. Elle sourit. Je ne la reconnais pas. Fuir ? Courir ? Je ne vois pas ses dents.
Avec une voix douce, elle dit :
- Pierre, venez avec les autres ! C’est l’heure de votre séance de piscine. Ca va vous faire du bien. La piscine, ça détend…



Christine C.